Il me fut avoué au détour d'une conversation avec une psychologue, que la Nouvelle-Zélande est un peuple de traumatisés. Les tribus aborigènes furent dépossédées de leurs terres et de leur histoire, par des navires fuyant les drames de leurs pays en quête d'une vie meilleure. Forcément, la cohabitation de ces deux parties en est aujourd'hui encore affectée. Les familles maori portent en elles le traumatisme d'une injustice non pardonnée, et les familles de colons la douleur d'avoir abandonné leurs racines pour ne plus y revenir. Ces plaies se sont transmises de génération en génération jusqu'à maintenant, où elles s'expriment de différentes manières. Par exemple, on peut observer dans les phénomènes sociaux une certaine rancune d'un côté, de paire avec une certaine culpabilité de l'autre. Comme la majorité de ces problèmes encore tabous, on croit régler la situation à coups de compensations financières, privilèges au recrutement, ou bien indifférences aux impayés. Mais les souffrances du passé s'expriment également dans le cercle intime de la famille, ce que j'ai pu vivre pendant une semaine.
Je suis arrivé dans le Nord de l'île du Sud, magnifique région des Marlborough Sounds. Ici se concentre 80% de l'exploitation vinicole du pays, qui se répartit entre des vignobles de différentes tailles. La tradition veut malgré tout que ce soit de petites entreprises familiales travaillant la terre, expliquant du même coup le dépeuplement des écoles dans la région. A mon arrivée dans ce nouveau chapitre, c'est une femme sans âge qui me propose d'aider son mari et elle dans la taille de leurs vignes. Je découvre avec un peu de surprise la maison qui deviendra ma croix sept jours durant. Je rencontre alors Mr et m'aperçois tout de suite à la rougeur de son visage et sa manière de contempler son verre vide qu'il doit être un sacré caractère. Ce n'était pas une impression, les quelques éléments que je dégage de nos premières conversations me le confirment. Tous deux dans leur soixantaine, ils ont racheté 5 hectares de vigne il y a plus de trente ans, mais leurs ventes n'ont jamais décollé. Ils ont eu trois enfants, tous partis de la maison, qui les aidait dans le vignoble avant de partir aussi loin qu'ils pouvaient. Face à l'insuccès et la difficulté, Mr s'oublia dans l'alcoolisme et Mme dans le silence. J'ai voulu fuir aussitôt après être arrivé, mais je sentais quand même un appel à rester. Et si ma présence pouvait libérer quelque chose ?
La semaine a été longue, et je ne saurais dire si elle a été productive. J'ai eu quelques beaux échanges avec Mme, me racontant l'histoire de leur couple et de leur famille comme une histoire de violence. Elle excusait son mari tout en se doutant que cela n'était pas normal, m'a avoué qu'elle se sentait fatiguée de résister depuis de nombreuses années. Après les insultes et un vocabulaire plus que fleuri, j'ai également pu échanger avec Mr sur certains sujets tabous depuis trop longtemps. Entre l'éducation de ses enfants qu'il avoue ne pas être la meilleure et son rapport au travail légèrement malsain, il m'a confié se sentir étrange en me parlant de tout cela. Mais par dessus tout, un point commun ressortait alors que ces deux personnes se livraient à moi : l'image qu'ils portent de leur parents. Immigrés européens d'après guerre, ils ont tout abandonné pour tout reconstruire à l'autre bout du monde. Mr et Mme m'ont tout deux dit qu'ils regrettaient d'avoir été dérobés à leurs racines, sans aucune chance de savoir d'où ils viennent, qui sont leurs ancêtres. Complètement étrangers à cette île, ils se sentaient colonisateurs d'une terre qu'ils n'ont pas désiré, alors que les enfants maoris étaient battus à l'école. Ils furent éduqués à oublier le pays que leurs familles fuyaient, pour embrasser la responsabilité de l'oppression aborigène qu'ils n'ont pas commise. Ce déséquilibre qui aura habité toute leur vie se traduisit par de la violence physique, qui devint l'exutoire de l'injustice. Jeunes psychologues, il paraît que la Nouvelle-Zélande est un terrain d'apprentissage vraiment efficace !
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